Auteur :
Marc Guigon
Directeur Voyageurs, Coordinateur de la Région Amérique Latine, Coordinateur de la Taskforce ferroviaire mondiale COVID-19. Union Internationale des Chemins de fer (UIC)
Date: 08.02.2021
Lecture: 8 min.
Introduction
En février 2020, l’UIC a mis en place une taskforce pour travailler avec ses membres, des experts et des associations de transport ferroviaire mondiales afin de partager et de fournir des informations sur la crise causée par le coronavirus (Covid-19) et ses conséquences pour le secteur du transport ferroviaire. Peu de temps après, des besoins concrets ont conduit le groupe de travail à produire plusieurs documents opérationnels en de multiples langues (www.uic.org/covid-19/) :
- « Gestion de la Covid-19 – Guide pour les acteurs ferroviaires » rassemblant des mesures potentielles dans le but d’aider les acteurs ferroviaires et de fournir des informations fiables sur les défis spécifiques du rail.
- « Mesures potentielles pour rétablir la confiance dans les voyages en train après la pandémie de Covid-19 » énumérant les différentes mesures que les acteurs ferroviaires pourraient prendre pour accroître le sentiment de sécurité des voyageurs.
- « RAILsilience – Comment le secteur ferroviaire a combattu Covid-19 pendant le confinement » montrant la situation pendant les fermetures et les mesures mises en place par le secteur ferroviaire pendant la phase de lutte contre l’épidémie.
- « RAILsilience, Retour sur les Rails », montrant les mesures prises par les membres pour la reprise des trafics
- D’autres documents ont été émis : « masques, ventilation et distanciation sociale », « Caméras thermiques », « Première évaluation économique » et « risque de contamination ».
Évaluation économique dans le monde
Nous avons considéré dans l’estimation de l’impact économique sur l’industrie du rail menée mi 2020 à l’issue de la première vague que la demande de voyage sera reportée majoritairement à 2021. La demande de voyageurs en 2020 devrait diminuer en moyenne de l’ordre de 30% par rapport à 2019, tandis que le secteur du fret devrait diminuer en moyenne jusqu’à 10%. Malheureusement, la confiance des voyageurs devrait rester faible.
Il est clair que ce scénario se traduit par des pertes importantes dans les activités voyageurs en 2020, restant significativement élevées à moyen terme.
L’impact sur le secteur des marchandises ne peut être comparé à celui des voyageurs car les activités sont différentes et le confinement pendant la crise de Covid-19 a provoqué fréquemment un transfert de la route vers le rail. En outre, alors que de nombreuses frontières étaient fermées au trafic de voyageurs, les frontières restaient ouvertes pour le fret. Cela dit, la production manufacturière a diminué dans certains pays, ce qui a conduit à une baisse du transport de marchandises
Les pertes au premier semestre 2020 pour les activités de fret sont inférieures à celles du second semestre 2020. La plupart des pays ont connu un passage de la route au rail lors des confinements, en particulier en Chine mais aussi en Europe.
Mesures de soutien économique
Une première estimation menée mi-2020 de l’impact économique mondial pour le mode ferroviaire est de l’ordre de 125 milliards de dollars pour 2020.
L’UIC a demandé mi-2020 à ses membres les mesures de soutien qu’ils souhaiteraient à court ou moyen terme :
- Contribution financière directe
- Diminution des Charges d’accès à l’Infrastructure
- Diminution / élimination de la TVA et autres taxes
- Prêts garantis
- Concurrence équitable entre tous les modes de transport
Les membres de l’UIC ont aussi mentionné des mesures telles que la compensation salariale pendant les crises de Covid-19 à court / moyen terme et la réduction de la dette à long terme.
Les répondants ont été invités à classer les propositions de 1 à 6, où 1 est la mesure économique la plus importante pour eux et 6 est la moins importante. Par conséquent, avoir une valeur proche de « un » signifie que la mesure économique est fortement souhaitée par les répondants.
Priorités pour les mesures de soutien économique à court ou moyen terme
NB : Ayant une valeur proche de “1” indique que la mesure est fortement souhaitée par le répondant
Pour le court-moyen terme, il est clair que la priorité la plus importante est liée au recouvrement immédiat des pertes économiques.
Toutes les autres mesures économiques proposées reçoivent un score équivalent.
L’analyse pour le long terme montre des priorités très différentes de l’analyse à court terme. Alors que la mesure prioritaire reste la contribution financière directe, la deuxième priorité change. À long terme, une concurrence équitable entre tous les modes de transport remplace la baisse des frais d’accès à l’infrastructure, qui devient la troisième priorité.
Priorités pour les mesures de soutien économique à long terme
NB : Ayant une valeur proche de “1” indique que la mesure est fortement souhaitée par le répondant
Alors que des mesures financières ont été mises en œuvre dans de nombreuses régions du monde pour d’autres secteurs des transports, des mesures similaires sont attendues pour le secteur ferroviaire, qui est très clairement gravement touché par la crise.
Les priorités peuvent différer pour différentes organisations du secteur ferroviaire dans les différentes régions du monde, selon que le champ d’application est limité à la gestion des infrastructures, ou à l’exploitation des trains et à la maintenance du matériel roulant ou couvre les deux.
Il est intéressant de souligner qu’à ce stade post confinement, la plupart des membres sont confrontés à de graves problèmes de gestion de trésorerie et ont exprimé une préférence pour les contributions financières directes plutôt que des baisses de taxes et des règles du jeu équitables entre tous les modes de transport, qui restent néanmoins des questions pour le long terme.
Le secteur ferroviaire traverse une crise historique sans précédent qui appelle des mesures économiques gouvernementales. Les membres ont exprimé leur préférence pour des contributions financières directes, bien que plusieurs autres options puissent être envisagées : baisse des charges d’infrastructure, diminution / élimination de la TVA et d’autres taxes, prêts garantis, règles du jeu équitables entre tous les modes de transport.
Nouvelle normalité
Qu’appelle-t-on la nouvelle normalité ? Il s’agit de la situation stabilisée après la pandémie et ses séquelles directes. Il est clair que, dans les pays où la crise a duré longtemps, les séquelles se feront sentir sur de nombreux mois, voire plusieurs années avec une réduction de l’économie.
La situation de nouvelle normalité se situe donc après cette période, en conservant des effets durables. En effet, des tendances qui devaient intervenir sur le long terme ont été précipitées dans le court terme en raison de la crise.
Suivant les pays, cette nouvelle normalité se situerait entre 2021 à 2025.
Dans certains pays, la nouvelle normalité ressemblera à ce qui avait étéprojeté avant la crise, en raison de la faible durée et du faible impact de celle-ci. Il s’agit en particulier de la Chine qui a vu reprendre très rapidement ses activités quasi normales avant l’été 2020, et qui n’a donc pas eu le temps de procéder à l’évolution pérenne des comportements.
Pour d’autre pays, en particulier en Europe ou dans les Amériques, la crise est longue, et les habitudes ont changé, en particulier en ce qui concerne la manière de travailler ou les mobilités.
En Europe, les tendances préexistantes à la crise concernent :
- Une croissance économique modérée
- Le développement du tourisme
- La libéralisation dans le monde du transport ferroviaire
- Une concurrence multimodale équilibrée
- Un progrès technologique important
- Des développements importants dans les activités de distribution des billets impulsés par l’UIC
- Des développements pour l’intermodalité
- Une meilleure conscience environnementale
La crise Covid-19 a freiné une partie de ces activités, en particulier avec :
- Le télétravail quasiment généralisé pour les métiers qui le peuvent
- Une certaine désurbanisation, avec de nombreuses personnes qui ont fui les grandes villes pour télétravailler dans un autre lieu plus calme et moins cher : ville moyenne ou campagne
- Un effondrement de l’économie dans certains secteurs
- Des restrictions importantes pour le tourisme
- Un arrêt des travaux de construction d’infrastructures nouvelles
- Un besoin de moyens financiers importants
- Un développement de la « mobilité virtuelle » avec les réunions à distance
- Des contraintes environnementales passant au second plan
- Une impression que les modes de transport collectifs sont moins sûrs que les transports individuels sur le plan sanitaire
L’environnement post Covid-19 affectera la mobilité ferroviaire :
- La plupart des tendances pré covid-19 sont accélérées
- Le curseur entre la mobilité physique et la mobilité virtuelle se déplace en faveur de cette dernière. De nombreuses entreprises ont découvert que les réunions à distance étaient au moins aussi efficaces que les réunions physiques. Cela a été particulièrement vrai à l’UIC pour les réunions internationales où le nombre de pays participants a cru de manière importante pendant la crise, les participants n’ayant pas à voyager, ce qui est un gain de coût et de temps. En revanche, il faut s’astreindre à des horaires qui dépendent des fuseaux horaires de chaque pays, et rien ne remplace la réunion physique pour faire connaissance des personnes, suivre des visites techniques ou préparer des décisions. Par ailleurs, certaines cultures (en particulier asiatiques) préfèrent les réunions physiques aux réunions en ligne.
- Les fonds publics se feront plus rares en raison des dettes des États qui auront explosé pendant la période de crise.
- Le retour des voyageurs dans les trains s’effectuera avec une certaine hystérésis.
- La conscience environnementale se fera plus sentir, ce qui est favorable au mode ferroviaire en comparaison avec le transport aérien sur des distances moyennes. En particulier, avant la crise, une durée de transport ferroviaire de 3 heures aboutissait à un ratio de 50/50 entre parts des modes aériens et ferroviaire. Cette durée va s’accroître, atteignant 4 heures ou plus. Cela va en faveur de la résurrection des trains de nuit qui, s’ils sont de bonne qualité, peuvent remplacer un séjour d’une nuit dans un hôtel. Certains gouvernements vont accroître cette tendance en ne permettant pas aux transporteurs aériens d’exploiter des relations en concurrence directe avec les trains à Grande Vitesse.
Évolution de la demande de mobilité
Les facteurs décrits ci-dessus vont faire évoluer assez fortement la demande de mobilité dans les pays du pourtour méditerranéens.
D’une part, les voyages d’affaires verront leur nombre décroître avec les réunions en ligne qui vont perdurer durablement.
Certains pays vont adopter des lois pour faciliter le télétravail, ce qui aura deux conséquences contradictoires :
- Une diminution du volume des trajets du quotidien : banlieue ou régional
- Une augmentation de certains déplacements de longue distance en raison de la délocalisation de certaines populations qui délaisseront leur logement dans les grandes villes par une résidence dans une ville moyenne ou à la campagne. Ils pourraient privilégier de réserver des chambres d’hôtel une ou deux fois par semaine pour se rendre dans leur bureau
Pour les entreprises, cet accroissement du télétravail pourrait leur faire faire des économies substantielles dans la location des bureaux, en instaurant des bureaux partagés ou volants.
Le télétravail sera aussi d’usage courant pour les cours en université, les examens à distance, les consultations médicales à distance… Mais aussi, la progression de l’économie circulaire aura un impact sur les transports de voyageurs et de marchandises.
En ville nous assisterons à un remplacement partiel des modes de transport traditionnels par des mobilités dites « douces », ce qui nécessitera des investissements différents d’infrastructure, et de nouvelles règlementations de déplacement.
En revanche, le tourisme continuera à s’accroître, mais en empruntant plus souvent des modes de transport plus respectueux de l’environnement. La dénigration du mode aérien (flight shaming, plane bashing et Greta Effect) continuera sa progression dans toutes les classes sociales.
C’est justement le bon moment pour les gouvernements d’impulser des politiques ambitieuses de développement des modes de transport plus respectueux de l’environnement, et en particulier en faveur du mode ferroviaire.
La crise Covid-19 peut devenir une chance pour le secteur ferroviaire, car les États et les organisations supra étatiques vont mettre à disposition des fonds colossaux pour faire redémarrer l’économie.
Cela peut passer par des nouveaux investissements pour les lignes à grande vitesse qui sont un réel succès en Europe de l’ouest, mais aussi en Asie (Chine, Japon, Corée du Sud), et qui sont un facteur essentiel de développement des économies. Il subsiste encore de larges zones vierges de Grande Vitesse Ferroviaire autour du Bassin Méditerranéen. Ces investissements peuvent concerner des lignes nouvelles à Grande Vitesse (au-delà de 250 km/h), ou la mise à niveau de lignes existantes pour des vitesses supérieures à 200 km/h.
C’est justement le bon moment pour les gouvernements d’impulser des politiques ambitieuses de développement des modes de transport plus respectueux de l’environnement, et en particulier en faveur du mode ferroviaire.
La prise de conscience environnementale
La plupart des entreprises ferroviaires mondiales se sont engagées à la neutralité carbone à l’horizon 2050, en signant un pacte d’engagement proposé par l’UIC, ce qui signifie qu’au sein du secteur, des actions seront menées en ce sens, avec le soutien indispensable des autorités nationales ou régionales.
Cela passe aussi par un soutien à l’intermodalité qui favorise l’utilisation de plusieurs modes de transport, chacun étant le mieux adapté à son créneau d’utilisation : billetterie, aménagements dans les gares, repenser l’urbain autour des transports « doux ».
Les autres facteurs
La concurrence entre les compagnies ferroviaires suite à la libéralisation pourra avoir un impact positif à la fois sur les prix de transport et la qualité des services fournis aux clients. Cela s’est particulièrement vu en Italie avec la concurrence entre NTV-Italo et FS-Trenitalia, ce qui a conduit à un développement très important du volume de trafics en trains à grande vitesse qui a bénéficié aux deux opérateurs ferroviaires. Le partage modal fer/air entre Milan et Rome est ainsi passé de 36% en 2008 à 80% en 2018, tandis que, dans le même temps, la part du trafic aérien est passée de 50% à 14%.
Cette période de crise récente a fortement affecté les nouveaux opérateurs ferroviaires, car le volume du marché global ne permettait pas d’avoir plusieurs opérateurs concurrents pour les mêmes relations. Ils ont donc réduit leurs plans de développement pour l’avenir proche.
La diminution attendue de la mobilité liée aux nouvelles habitudes de travail imposera aussi aux gestionnaires d’infrastructure de diminuer les coûts d’accès aux infrastructures. Le rôle des autorités sera alors d’établir un nouvel équilibre entre les subventions et les charges d’infrastructures payées par les opérateurs ferroviaires.
Conclusion
Les gouvernements doivent apporter un soutien fort au secteur ferroviaire, en promouvant en même temps le mode de transport le plus durable et le plus sûr, qui, dans la plupart des pays, joue un rôle majeur dans leur futur système de mobilité.
Cela est particulièrement vrai pour le fret ferroviaire qui peut être essentiel pour soutenir une chaîne de valeur logistique durable, mais aussi pour l’activité des voyageurs à un moment où les conditions de voyage et les attentes changent radicalement.
Ce soutien peut s’exercer par des investissements dans des infrastructures nouvelles, mais aussi par un soutien politique permettant au mode ferroviaire d’avoir un réel avantage social et économique.
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