Auteur:
Enric Ticó
Président à FETEIA-OLTRA
Date: 26.07.2022
Lecture: 9 min.
Introduction
La mer Méditerranée est actuellement devenue l’un des principaux centres de transport international par lequel transitent chaque année de grandes quantités de marchandises.
Sa position de zone de transit stratégique pour une multitude de marchandises, transportées par voie maritime notamment, en fait un nœud logistique d’importance capitale. Selon le rapport de l’Observatoire statistique espagnole du transport maritime à courte distance (TMCD) pour l’année 2021, le trafic TMCD global sur la côte méditerranéenne a augmenté de 26,9 %, dépassant les chiffres d’avant la pandémie.
La zone géographique méditerranéenne se caractérise, entre autres, par la grande hétérogénéité des pays et des acteurs présents dans les sphères institutionnelles, politiques, économiques et même sociales, car elle est le point de rencontre de trois continents. Cela signifie que, bien que la circulation des marchandises soit un secteur très actif, il y a encore une grande marge d’amélioration dans le développement du commerce entre les acteurs de cette zone (la zone a plus de force en tant que nœud logistique qu’en tant que centre de commerce lui-même).
Le renforcement des relations commerciales entre tous les pays de la zone méditerranéenne devrait avoir un impact positif au niveau mondial et faciliter le développement conjoint de tous ces pays. Cependant, l’hétérogénéité susmentionnée existant au niveau politique et économique agit parfois comme un frein ou un facteur de blocage dans le développement et la collaboration commerciale entre les parties.
La première analyse, ou la plus simple, concernant les régimes applicables ou la nature des transactions serait celle qui découle d’une division nord-sud. Cela est logique, car la majorité des pays du front nord sont membres de l’Union européenne (UE) et, par conséquent, du territoire douanier de la Communauté (TDC), tandis que les autres sont des pays souverains et indépendants au profil très hétérogène, y compris sur le plan politique ou culturel. Cela rend difficile l’établissement de relations stables et durables entre les parties.
Nous sommes donc loin de pouvoir considérer qu’il existe un régime commercial spécifique à la mer Méditerranée, ou aux entreprises de cette zone, apte à faciliter les transactions internationales.
La situation actuelle représente une opportunité historique pour ce développement commercial : la pandémie a entraîné une modification des schémas de production, les rapprochant des zones de consommation et, par conséquent, de la mer Méditerranée. Certaines chaînes d’approvisionnement passeront du niveau mondial au niveau régional, de sorte que l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement de la région est essentielle.
1. Comparaison nord-sud. Le facteur clé de l’adhésion à l’UE et l’application de la réglementation douanière
Le fait que de nombreux pays de la rive nord de la Méditerranée fassent partie de l’UE et du TDC a un impact important sur les transactions commerciales, notamment en raison de leurs régimes douaniers et fiscaux, ainsi que de la puissance commerciale de l’UE. Ces pays appartiennent à un marché commun et à l’union douanière, ayant cédé leur souveraineté sur le commerce extérieur et la protection de leurs frontières au niveau commercial.
Tous les pays de l’UE sont soumis au régime du marché libre et les transactions internes effectuées entre opérateurs privés dans ces pays ne sont pas considérées comme des exportations et/ou des importations, mais comme des transactions intracommunautaires. Par exemple, au-delà des questions opérationnelles internes, en ce qui concerne le régime juridique, il n’y a pratiquement aucune différence entre une entreprise allemande qui gère l’importation d’un produit par le port de Hambourg ou par un port méditerranéen tel que Valence.
En outre, l’Union européenne est constituée d’un marché d’environ 447 millions de personnes physiques/consommateurs potentiels, selon l’Institut national espagnol de la statistique, qui agit également comme un levier pour le développement des échanges avec des tiers. En substance, le marché intérieur créé dispose d’une remarquable capacité de demande interne, et peut être en mesure de négocier à l’extérieur avec une grande force. En outre, ce marché crée une stabilité institutionnelle, commerciale et réglementaire, qui est essentielle pour le développement économique de ses pays membres.
Conformément au code des douanes de l’Union (art. 3), les autorités douanières de l’UE prennent des mesures visant à
- protéger les intérêts financiers de l’Union et de ses États membres ;
- protéger l’Union contre le commerce déloyal et illégal tout en soutenant l’activité commerciale légitime ;
- assurer la sécurité et la sûreté de l’Union et de ses résidents, ainsi que la protection de l’environnement, le cas échéant en étroite coopération avec d’autres autorités ; et
- garantir le maintien d’un équilibre adéquat entre les contrôles douaniers et la facilitation du commerce légitime.
Le marché intérieur créé dispose d’une remarquable capacité de demande interne, et peut être en mesure de négocier à l’extérieur avec une grande force. En outre, ce marché crée une stabilité institutionnelle, commerciale et réglementaire, qui est essentielle pour le développement économique de ses pays membres.
La protection des intérêts financiers est mise en œuvre principalement par la perception de droits à l’importation et, dans une moindre mesure, à l’exportation.
Les autres mesures sont mises en œuvre par le biais de contrôles douaniers sur l’importation et l’exportation de marchandises à destination et en provenance du TDC. Dans le cadre de ces contrôles, les autorités douanières doivent effectuer les vérifications de sécurité pertinentes, qui sont actuellement réalisées par le biais de la déclaration sommaire d’entrée (ENS, selon son sigle en anglais) et des vérifications sur des questions telles que l’origine et la nature des marchandises, pour voir si celles-ci sont autorisées à être importées et si elles remplissent toutes les conditions pour être distribuées aux consommateurs.
En ce qui concerne la déclaration de sécurité, certains changements sont apportés au système afin de fournir de plus grandes garanties pour empêcher l’entrée de marchandises interdites et la réalisation d’éventuelles attaques terroristes. Le nouveau système est l’ICS2, en vertu duquel les transporteurs ou les transitaires doivent faire deux types de déclarations aux autorités douanières : la PLACI, avant le chargement des marchandises sur le moyen de transport à l’arrivée, et l’ENS complète, avant l’arrivée des marchandises au premier bureau de douane d’arrivée au TDC.
En ce qui concerne les contrôles sur les marchandises elles-mêmes, et en évitant d’être trop précis à cet égard, les contrôles suivants sont actuellement effectués dans chaque pays de l’UE par les différentes autorités compétentes :
- Inspection sanitaire : sur les produits d’origine animale ou végétale destinés à la consommation humaine, les médicaments, les produits cosmétiques, les dispositifs médicaux et les insecticides.
- Inspection vétérinaire : sur les animaux vivants, les produits d’origine animale ou végétale non destinés à l’usage ou à la consommation humaine, et les médicaments vétérinaires.
- Inspection phytosanitaire : sur les organismes nuisibles aux végétaux, sur certains végétaux qui peuvent en contenir et sur les engrais d’origine végétale.
- Inspection de la qualité commerciale : sur certains produits agricoles, notamment la viande de volaille, les produits de la pêche, les œufs, les fleurs coupées, les fruits et légumes et les conserves de poisson, et sur certains produits électroniques.
- Inspection CITES : sur l’importation et l’exportation de certaines espèces de faune et de flore menacées, en vue d’obtenir un certificat CITES.
- Sécurité des produits : nouvelles mesures de contrôle sur l’importation de certaines marchandises concernant les standards applicables aux produits en matière de sécurité. Les marchandises soumises à des contrôles de conformité comprennent les textiles, les chaussures, les équipements électriques et les jouets.
- Contrôles pharmaceutiques : contrôles sur l’importation de médicaments à usage humain, de dispositifs médicaux, de produits d’hygiène personnelle, de cosmétiques et de biocides à usage personnel.
- Contrôles des importations de bois et de produits dérivés en provenance de pays ayant un accord de partenariat volontaire en vigueur (actuellement l’Indonésie) : l’autorité compétente FLEGT vérifiera la validité de l’autorisation FLEGT conformément aux exigences légales applicables.
La réalisation de ces contrôles entraîne des tâches et des coûts administratifs. C’est également un facteur de différenciation très important, puisque les pays du front nord sont soumis au même régime.
D’autre part, des initiatives sont prises au sein de l’UE qui rendront les douanes européennes plus compétitives, comme la création d’un guichet unique douanier, qui permettra l’échange d’informations en temps réel entre les différents bureaux de douane, et servira à rendre les processus plus efficaces. Il convient de garder à l’esprit que la réalisation des contrôles douaniers entraîne un coût, non seulement lié au paiement des taxes correspondantes, mais aussi au paiement d’honoraires au prestataire de services : le séjour des marchandises dans les installations douanières (ce qui, en cas de blocage des marchandises en raison de divergences dans l’évaluation de la documentation, fait grimper le coût à des milliers d’euros), le paiement des frais au terminal portuaire, les taxes portuaires… sans parler de la destruction éventuelle des marchandises dans le cas de denrées périssables.
En outre, l’adhésion à l’UE génère une stabilité réglementaire qui permet des investissements dans des domaines tels que la formation, tant du côté de l’administration que des opérateurs économiques.
Par conséquent, la principale conclusion que l’on peut facilement tirer est que les transactions commerciales entre les acteurs de la côte nord de la Méditerranée (plus précisément, entre les acteurs du TDC) sont libres et agiles, contrairement aux opérations où l’un des participants (ou aucun d’entre eux) ne fait pas partie de l’UE, car elles sont soumises à des contrôles et à des formalités, bien que de nombreuses facilités soient approuvées dans les traités de libre-échange.
Il est clair que chaque territoire a l’obligation de défendre sa souveraineté et de protéger ses citoyens, de sorte qu’une union douanière méditerranéenne semble presque impossible à envisager, mais il existe des alternatives qui amélioreraient la situation actuelle. L’une de ces possibilités serait la mise en place d’un forum visant à harmoniser les réglementations et procédures existantes, car la convergence réglementaire générerait une sécurité juridique dans toute la zone et permettrait de renforcer les processus logistiques internes.
Une autre barrière à la circulation fluide des marchandises est l’obligation pour les opérateurs économiques, ou leurs représentants en douane, de travailler avec des documents de transport et de douane imprimés, ce qui engendre des coûts, des risques de perte et les conséquents blocages des marchandises aux postes de contrôle frontaliers, ainsi que des problèmes d’analyse de la documentation par le fonctionnaire au poste frontalier, en raison de la multitude de formats et de réglementations pour remplir les documents existants.
Il semble également évident qu’il s’avère nécessaire de travailler à la promotion de la numérisation dans deux domaines : d’une part, mettre fin à la nécessité de remettre des documents imprimés aux homologues et aux autorités et, d’autre part, mettre en œuvre des outils informatiques permettant de travailler à tout moment avec des documents authentiques et de contrôler en permanence les statistiques des marchandises. Un exemple réussi serait l’utilisation de la technologie blockchain, par exemple, par les autorités égyptiennes. Dans un marché où les contreparties sont différentes, il est nécessaire de disposer d’outils offrant sécurité et immédiateté.
La réglementation douanière offre déjà une solution à des problèmes tels que le blocage des marchandises (même s’il est nécessaire de la développer d’un point de vue pratique), avec le statut d’opérateur économique agréé (OEA), qui est un opérateur auquel l’administration douanière fait confiance. Tel qu’il a été conçu, ce statut permet aux autorités douanières d’accorder un traitement favorable aux opérateurs OEA, comme la réduction des contrôles et la priorité dans les files d’attente. Pour l’instant, seule l’UE a reconnu ce statut dans la zone méditerranéenne, mais il pourrait représenter une étape importante pour la rationalisation des procédures douanières entre les opérateurs des pays de la zone.
Il existe enfin un statut qui permettrait d’établir des alliances au niveau douanier, et qui faciliterait l’augmentation des échanges commerciaux, comme la promotion du régime de transit entre tous les pays de la zone méditerranéenne, afin que les marchandises puissent transiter librement en leur sein.
Il est clair que chaque territoire a l’obligation de défendre sa souveraineté et de protéger ses citoyens, mais il existe des alternatives qui amélioreraient la situation actuelle.
2. Promotion du commerce intra-méditerranéen : les accords de libre-échange
L’UE (et ses États membres) a conclu plusieurs accords de libre-échange avec un grand nombre de pays de la rive sud de la Méditerranée, ce qui permet d’établir progressivement des zones de libre-échange. Des progrès sont également réalisés à cet égard entre les pays non membres de l’UE.
Le grand avantage tiré de la signature et de l’entrée en vigueur de ces accords de libre-échange est généralement l’élimination des droits de douane sur les échanges (ou l’établissement de droits nuls) entre les opérateurs des pays concernés.
Comme on le sait, les droits de douane constituent l’un des éléments les plus importants de la politique fiscale et d’imposition d’un pays, ainsi qu’un élément important de protection du secteur productif national.
Une autre étape importante est l’entrée en vigueur de la convention régionale pan-euro-méditerranéenne sur les règles d’origine préférentielles (convention pan-euro-méditerranéenne), qui établit des règles d’origine et de cumul uniformes et qui est actuellement en cours de révision. L’établissement de règles d’origine communes est essentiel, car il constitue la base de l’application de toutes sortes de mesures commerciales.
La conclusion de ce qui précède pourrait être que la facilitation des échanges par la mise en place d’une zone de libre-échange est la bonne voie, bien qu’il y ait encore beaucoup de place pour l’action. Il existe de nombreuses possibilités de développer la collaboration entre les pays et les opérateurs économiques de la région, ce qui aurait également pour effet de renforcer la zone elle-même en tant que pôle économique mondial et de générer une croissance exponentielle.
3. Problèmes particuliers du transport maritime. Transport maritime à courte distance
Afin de consolider la mer Méditerranée en tant que zone de commerce mondial de premier plan (outre sa position stratégique en tant que zone de transit et de connexion pour les routes mondiales), il est essentiel de promouvoir le transport maritime à courte distance entre les pays de la côte méditerranéenne.
L’association espagnole du transport maritime à courte distance définit le transport maritime à courte distance comme « le mouvement de marchandises et de passagers entre des ports situés sur le territoire de l’Union européenne ou entre ces ports et des ports situés dans des pays non européens ayant un littoral sur les mers entourant l’Europe ». Il semble évident qu’il s’agit d’un moyen de transport idéal pour le commerce entre les pays méditerranéens.
Cela dit, bien que le facteur prix soit toujours très important, l’élément clé lors du choix d’un navire comme moyen de transport est le temps. Outre la nécessaire disponibilité d’itinéraires comportant suffisamment de départs et d’arrivées, il est essentiel de veiller à ce que les marchandises ne restent pas bloquées aux postes-frontière plus longtemps que nécessaire. Il faut pour cela promouvoir des ports « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », entièrement opérationnels et dotés d’un personnel suffisant, qu’il s’agisse d’entreprises privées ou de fonctionnaires des différentes administrations chargées des douanes et des contrôles spéciaux.
En outre, il convient d’améliorer les installations douanières en construisant des postes de contrôle frontaliers uniques qui permettent d’effectuer tous les contrôles en même temps, afin de se conformer au guichet unique des douanes prévu par le Code des douanes de l’Union (CDU).
Une autre mesure à mettre en place serait la construction de terminaux adéquats et d’installations multimodales permettant aux marchandises de suivre leur itinéraire, que ce soit par train ou par camion, jusqu’à leur destination.
Afin de consolider la mer Méditerranée en tant que zone de commerce mondial de premier plan, il est essentiel de promouvoir le transport maritime à courte distance entre les pays de la côte méditerranéenne.
Conclusions
Les conclusions suivantes peuvent être tirées des réflexions et idées prévues dans les sections précédentes :
- Bien que des progrès aient été réalisés en matière d’intégration commerciale dans la région, il faut encore encourager la conclusion d’accords multilatéraux. Cela permettrait de garantir (i) la stabilité et la continuité des opérations commerciales entre les entreprises de la zone géographique de référence, indépendamment des questions géopolitiques, et (ii) la consolidation de politiques multimodales communes.
- Il est nécessaire de travailler à l’harmonisation des réglementations douanières et des procédures douanières afin d’offrir une sécurité juridique et opérationnelle aux opérateurs économiques, ainsi que d’investir dans la formation des fonctionnaires et du personnel des opérateurs, afin d’accroître les opérations dans la zone.
- Le transport maritime à courte distance est essentiel pour le développement de la région. Pour le dynamiser, il est nécessaire d’exécuter la mise en place de nouveaux itinéraires et corridors, de rationaliser les actions à mener aux postes de contrôle frontaliers et de renforcer les actions multimodales.
- La numérisation est la clé de l’intégration commerciale de la région. À cette fin, il convient de promouvoir des plateformes et des programmes compatibles et ouverts.
Recommandations
Le succès concernant le développement du commerce intra-méditerranéen, pourrait être atteint en mettant en œuvre les recommandations suivantes :
- Un engagement ferme en faveur de la numérisation dans la région, avec des technologies qui assurent la sécurité juridique des procédures douanières et commerciales avec les tiers.
- Élargissement éventuel des pays parties à la convention relative à un régime de transit commun, afin de permettre l’entrée de pays situés sur les rives de la mer Méditerranée.
- Harmonisation de la législation douanière et promotion des conventions multilatérales.
- Renforcement du statut d’OEA.
Références
Shortsea Promotion Center – Asociación Española de Promoción del Transporte Marítimo de Corta Distancia (Association espagnole de promotion du transport maritime à courte distance). Observatoire statistique del TMCD en Espagne, année 2021. Transport maritime à courte distance Observatorio-Estadistico-2021def.pdf (shortsea.es)
Institut national de statistique – Instituto Nacional de Estadística https://www.ine.es/prodyser/demografia_UE/bloc-1a.html?lang=es#:~:text=El 1 de enero de,la Unión Europea (UE).
Règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l’Union https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:02013R0952-20200101&from=EN
Shortsea Promotion Center – Asociación Española de Promoción del Transporte Marítimo de Corta Distancia – Association espagnole de promotion du transport maritime à courte distance. Définition de SSS (transport maritime à courte distance)http://www.shortsea.es/index.php/iquienes-somos/definicion-sss
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